Zhala [ACCEPTÉE]

25 Juin.



Ce fut le son strident de l'interphone qui la tira brutalement du sommeil. Toujours aux aguets, le moindre bruit la réveillait toujours, en particulier quand il s'agissait de l'alarme qu'elle avait installé elle-même à sa porte. En grognant, elle tendit la main hors du sac de couchage pour attraper, entre ses doigts gourds, sa vieille montre au cadre effrité, et réalisa qu'il n'était pas encore midi. Quel tocard pouvait bien venir l'emmerder si tôt ? Elle fut bien tentée de ne pas ouvrir mais le petit robot de surveillance, qu'elle avait « emprunté » plusieurs mois auparavant, glissa jusqu'au canapé. La jeune femme s'extirpa de son emballage avec toute la grâce d'un mammodin et s'assit sur le bord du sofa. Le bourdonnement dans sa tête lui rappela l'extraordinaire quantité de saloperies alcoolisées qu'elle avait ingurgité la veille au soir. L'estomac au bord des lèvres, elle attrapa un des deux flingues, sagement rangés dans leurs étuis sur la table, et en coinça le canon dans l'élastique de sa culotte. Si c'était Protostar qui venait la déloger, elle ne se laisserait sûrement pas faire sans tirer une ou deux balles !
L'interphone se remit à sonner frénétiquement. Agacée, elle se leva sur des jambes maladroites et marcha vers la porte. Au passage, elle shoota dans une vieille boite à sandwich encore couronnée de quelques morceaux de verdures flétries, vestige d'un dîner datant sans aucun doute de plusieurs jours. Elle enfonça rudement son index sur le bouton rouge et grogna.

« - Qui c'est ? »

L'interphone grésilla et une voix d'homme se détacha au milieu de la friture du mécanisme.

« - Zhala enfin ! C'est Dodges. »

Dans un souffle rageur, elle composa le code d’accès et le mécanisme de la porte d'entrée, une vieille écoutille de sous-marin en métal, grinça pour laisser passer la silhouette élastique de Dodges. A peine avait-il posé le pieds sur le plancher crevassé du salon que Zhala l’accueillait avec un « tu fais chier » murmuré avec mauvaise humeur. Comme d'habitude, il souriait comme un imbécile et comme d'habitude, elle résista à l'intarissable envie de lui casser la figure. Dodges toisa sa collègue avec aux lèvres son éternel sourire moqueur et caqueta.

« - T'aurais quand même pu enfiler un froc !

- Ta gueule. Dis plutôt ce que tu fiches ici. Personne ne doit venir ici, c'était notre accord.

- T'énerves pas ! Je viens te remettre le dossier Pratchett.

- Et t'aurais pas pu m'appeler pour ça ? On aurait fait ça dans le taudis de Panik, comme d'hab'.»

Dodges frotta sa nuque d'une main hésitante qui n'annonçait rien de bon et Zhala sentit venir les mauvaises nouvelles. Dans un soupir dépité, la jeune femme traîna les pieds jusqu'à la cuisine et vérifia l'intérieur d'une cafetière avant de remplir un mug immense. L'homme poursuivit, tout en s'asseyant sur le sofa défoncé.

« - Disons que Panik n'a pas voulu te l'annoncer. Mais... on a rien trouvé sur Pratchett. »

Zhala se tourna vers l'homme et fronça les sourcils. Un instant interdite, la jeune femme resta immobile. Impossible. Elle avait monté un dossier en béton, fruit de plusieurs mois de travail acharné à scruter et décoder la moindre ligne numérique.

« - Comment ça rien ?

- Rien. Que dalle. Les pistes que tu nous a filé n'ont rien donné. Les codes fonctionnaient mais ses dossiers sont vides. Si on en croit ce qu'on a vu Hook et moi, Denis Pratchett est un citoyen modèle, honnête et vertueux.

- Impossible ! Tout est là dans le dossier. Les preuves sont authentiques, je ne les ai pas inventé.

- Non de ça, nous sommes sûrs. Mais on s'est dit avec Hook que le loustic avait peut être détecté la présence de Linea et s'était peut être empressé de vider ses bases de données pour les planquer sur des clés.»

Zhala éprouva brusquement le besoin de s’asseoir. Elle vint prêt de Dodges et s'enfonça lentement dans le canapé. Tendant la main vers son paquet de Jim's, noyé au milieu d'une centaine de morceaux de papiers sur la table basse, elle s'empara d'une cigarette et l'alluma. Dodges se pencha vers elle et pointa son visage du menton.

« Qu'est ce que t'as à l’œil ? C'est un coquard ? »

Ignorant la question, Zhala enchaîna sur ce qui la préoccupait.

« - Le seul moyen qu'il y a de détecter Linea c'est Linea lui-même. C'est donc impossible à moins que...

- A moins que Pratchett ne se soit lui même emparé de ton programme. Lui ou un de ses associés. Lors d'une de tes visites secrètes par exemple.

- Ce programme c'est moi qui l'ai conçu. Plusieurs modalités ne sont utilisables que par moi justement. Notamment sur les systèmes de sécurité de Linea.

- On est pas les seuls chapeaux-noirs de la galaxie ma vieille ! Pratchett doit bosser avec des cadors du piratage. Je ne vois que ça. Et dans ce cas, on l'a dans le cul. »

Dodges sembla deviner les prochaines paroles de Zhala et lui lança un de ses rares regards désapprobateur. Il déposa lentement le dossier, épais de plusieurs pouces, sur la table basse et se tourna vers son interlocutrice, la mine sérieuse.

«  - Écoutes. Je pense qu'avant de foncer dans le tas ou t'entêter comme d'habitude, tu devrais d'abord réfléchir a une nouvelle version de Linea. Il n'est plus aussi performant qu'au départ. Non pas qu'il soit mal conçut, mais la technologie évolue et la complexité des mécanismes de défenses aussi. Prends des vacances, je sens qu'il va y avoir des retombées avec cette affaire Pratchett. Pour le moment on ne peut rien prouver. »

L'air particulièrement borné, Zhala contempla le bâton de cendre qu'était devenu la moitié de sa cigarette oubliée, et resta un moment silencieuse. La prime liée à la capture de Pratchett lui passait sous le nez au moment le plus critique. Elle ingurgita une gorgée de café et reposa la tasse aussitôt quand son estomac lui fit sentir sa mauvaise humeur en gargouillant férocement. Au fond elle savait que Dodges disait vrai, seulement, il était hors de question qu'elle l'énonce à haute voix. Finalement, ce fut lui qui brisa ce silence têtu et furieux.

« - Y'a un autre truc qu'on a découvert prêt de chez Hook et dont je dois te causer. »

Zhala leva les yeux vers l'homme et le fixa, impassible malgré l'annonce toute récente de son viandage informatique le plus mémorable. Dodges fouilla dans sa veste en cuir un instant et lui tendit un morceau de papier tout écorné. Zhala coinça le papelard entre ses deux doigts et le ramena vers elle avec une lenteur farouche. Sans l'ouvrir, elle demanda.

« - C'est quoi ?

- Le truc en question.»

Agacée, ce qui ne changeait jamais vraiment, Zhala déplia le feuillet avec nervosité. Il n'y avait rien sur le papier. Ou si, trois mots, mais dont la signification lui était totalement inconnue.

« - C'est quoi ça ? Le titre d'une série TV ? »

29 Juillet.



Il y avait presque un mois qu'elle cherchait. Un véritable travail d'investigation à l'ancienne, à traîner dans les endroits les plus douteux des mauvais quartiers de Thayd. Au milieu des ruelles sales ou il n'y avait pas de services d’hygiène, elle avait interrogé la sulfureuse population des laissés-pour-compte. Prostituée, mendiant, bandit, escroc, vendeur de hot dog à la sauvette ou patron de bar, il lui semblait qu'elle avait fouiné partout ou il était possible de fouiner. Elle avait vite compris que « L’Assemblée des Murmures » n'était pas le titre d'une série TV, mais le nom d'une obscure organisation secrète qui semblait aussi introuvable qu'une aiguille dans une piscine de déchets. Lorsque Dodges lui en avait parlé, elle s'était laissée un jour ou deux pour réfléchir. Finalement et parce qu'elle manquait de tout, qu'il s'agisse de travail, de pognon ou même de sécurité personnelle, Zhala avait choisit de se balancer dans l'enquête. Dénicher cette assemblée lui semblait être le meilleur moyen de veiller à son intégrité physique si ça ne payait pas ses dettes. En échange, elle savait avoir un bon bagage, solide et sûr, mais le peu de choses qu'elle avait à perdre méritait tout de même d'être préservés, d'une manière ou d'une autre.
Dodges n'avait qu'un nom et la plupart de ses informations se composaient de rumeurs entendues prêt de chez Hook. Zhala avait donc fait le plus gros morceau du travail et laissé ses deux compères se réfugier dans leur planque prêt de Potence. Comme les deux hommes l'avait prévu, Pratchett avait utilisé Linea à son tour et la situation était devenue légèrement alarmante. Par précaution, et avant que cette histoire ne tourne vraiment au vinaigre, il avait fallut vider le matériel et l'abandonner ensuite. Une véritable tragédie quand on pensait que leur poste de travail principal avait coûté les yeux de la tête en matos haut de gamme, notamment en pièces rares dominardes achetées sur le marché clandestin. Lorsqu'ils avaient repérés plusieurs rôdeurs dans le périmètre de l'appartement de Hook, le front tatoué d'une rune reconnaissable, la bande s'était dispersée illico presto.
Zhala avait continué son enquête avec une opiniâtreté naturelle chez elle.

La bâtiment qui lui faisait face n'avait rien de remarquable. D'ailleurs il y avait fort à parier qu'elle était déjà passée devant sans même le voir. A moitié en ruine et flanqué d'une porte métallique cabossée, Zhala crut un instant s'être trompée. Sans s'attendre à un palace, peut être imaginait-elle tomber sur quelque chose de moins piteux. L'endroit semblait abandonné depuis longtemps et la ruelle dans laquelle la bâtisse se dressait sentait la décharge publique. Un rat énorme sortit en couinant d'un charnier de reliquats, collés entre eux par le temps et les intempéries. Zhala baissa une nouvelle fois la tête sur le plan, qu'elle avait elle-même rédigée tout au long de son enquête, et constata qu'elle était bien au bon endroit. Elle ne perdait rien à essayer. Que pouvait-il lui arriver ? Si elle avait réussit, tant mieux, sinon cette fichue porte resterait close. Elle avança la main et toqua quatre fois contre le métal.
Au bruit d'un cliquetis électronique qui sembla trouver un écho dans la ruelle, Zhala sursauta et se colla contre le mur, relativement anxieuse. La vieille porte défoncée s'ouvrit lentement et une voix rauque transperça le silence pour l'inviter à entrer. Une voix qui n'était visiblement pas celle d'un androïde. Elle supposa qu'il s'agissait du Notaire. Avec prudence, elle se décolla de la parois ou elle avait trouvé refuge et s'avança vers l'ouverture, tout en chassant de son vieux manteau l'épluchure moisie d'un légume inconnu. Contre toute attente, la personne noyée dans l'ombre n'émit aucun commentaire lorsqu'il fallut à Zhala cinq bonnes minutes pour traverser l'entrée et poser enfin un pieds dans la pièce. A peine son second pieds avait-il rejoins le premier que le battant se referma sur elle, bloquant toute issue possible. Prise au piège, il n'y avait aucun autre choix possible que d'avancer et affronter la situation quelle qu'elle soit.
Il fallut plusieurs minutes à ses yeux pour s'acclimater au faible éclairage de la pièce, alors même qu'elle venait de quitter la lumière intense de l’après-midi. Elle repéra quelques néons fluorescents, un bon paquet d’étagères accolées contre les murs et garnies de tout un tas de cochonneries sans intérêts visibles, de livres et de plusieurs pièces de matériel informatique. Le vieux mec planqué derrière son massif bureau en bois lui sembla d'abord comme une pièce figée dans ce décor chargé. Le teint cireux et la mine fermée, il ne bougeait pas, sauf les doigts, qui pianotaient sans cesse sur un clavier tactile. Lui non plus, ne semblait pas la voir. Finalement, il désigna rapidement d'un index le siège miteux installé prêt du bureau, sans même la regarder et dit.

« - Je suis le Notaire. Bienvenue. Remplissez ce formulaire. »

Loin de se formaliser du ton agacé employé par l'homme, Zhala prit place et tendit la main vers la tablette que lui désigna le Notaire. Un bref instant elle observa le vieil homme au nez cassé et lui trouva une mine vraiment louche. Peut être était-ce un androïde finalement. Elle constata machinalement qu'il utilisait un matériel informatique d'une qualité correcte et effleura la tablette. L'écran réagit à son contact et déploya un questionnaire qui lui parut peu commun. En silence, elle s'y intéressa.

Zhala se pinça l'arrête du nez et exhala un furtif soupir de soulagement. Plus d'une heure pour répondre à ce formulaire à la noix. Jamais de sa vie, elle n'avait eu à remplir une suite de questions aussi farfelues. Incertaine et déstabilisée, elle reposa néanmoins la tablette sur le bureau du Notaire, sans avoir retouché ses réponses. Dans le cas ou ceci ne donnerait rien, Zhala songea qu'il lui faudrait certainement se trouver un autre coin ou vivre et se faire oublier. Cette optique n'était ni dérangeante, ni exaltante mais au moins, elle aurait la satisfaction d'avoir exploré toutes les possibilités. Alors qu'elle se levait lentement, le vieil homme connecta tout de suite la tablette à son ordinateur puis retomba dans son mutisme indifférent comme si rien ne s'était passé et qu'elle n'avait jamais été là. Elle resta debout, attendant la suite. Un congés ou un mot quelconque. Zhala fixa l'androïde et en profita pour s'allumer une Jim's. Au bout d'un moment, qui lui parut éternel, le Notaire leva la tête et lui montra la porte en concluant doctement.

« - Nous vous contacterons pour vous aviser de notre décision. Vous savez où est la sortie. »

Zhala haussa les épaules et se dirigea vers la sortit. Elle repartit comme elle était venue, en silence, et en se demandant de quelle façon on allait bien pouvoir la contacter.